Par Séverine Mermilliod

Contribution sous : ParisBerlin Web >> Société

"Tagebuch eines Gefangenen", André François-Poncet en captivité


Publié initialement le jeudi 05 novembre 2015
34
0
0
0
0

André François-Poncet était l'une des figures emblématiques de la diplomatie française en Allemagne, avant et après la seconde guerre mondiale. A Berlin, il avait rencontré Goebbels, Goering, Hitler. Le 30 octobre 2015, pour la présentation de l'édition allemande de ses carnets de captivité à l'Institut Français de Berlin, "Tagebuch eines Gefangenen", sa fille, Geneviève François-Poncet assistait avec émotion à une projection de photographies sur la vie de son père.



Photo ©Petra Kammann. Geneviève François-Poncet, Petra Kammann et l'éditeur Thomas Gayda lors de la soirée de présentation. 

Le journal de captivité d'André François-Poncet "n'a jamais été écrit comme un livre, nous confie sa fille Geneviève, c'était l'occupation d'un prisonnier qui mourrait d'ennui et se rongeait d'inquiétude ! A l'époque, on n'avait même pas pensé à le faire publier." Finalement convaincu par deux de ses amis normaliens que ses carnets ont un réel intérêt littéraire et historique, André François-Poncet les fait éditer une première fois en France en 1953 sous le titre "Carnets d'un captif ".  Aujourd'hui, pour les 70 ans de la fin de la guerre, le livre est publié pour la première fois en allemand.

Après la rue d'Ulm, l'agrégation d'allemand et un sous-secrétariat d'Etat, André François-Poncet est nommé ambassadeur de France à Berlin de 1931 à 1938. Sentant la guerre inévitable, il demande à être envoyé en Italie où il reste jusqu'en 1940, mais ne peut que constater que Mussolini semble déjà avoir fait son choix. De retour en France, le gouvernement français ayant fui Paris, la famille s'installe en zone d'occupation italienne à Grenoble. En 1943, quand l'Italie cède devant les allemands, André François-Poncet est prévenu par un responsable qui lui conseille de partir car la Gestapo de Lyon n'a pas cessé de le surveiller.

Le jour même, des hommes armés font irruption dans la maison de la famille François-Poncet. Geneviève, la plus jeune des enfants, est alors âgée de 12 ans et nous relate la scène : "la Gestapo était là, avec deux Citroën noires, le cinéma classique. Dans l'une des voitures, il y avait le président Albert Lebrun, donc ça l'a rassuré, il s'est dit : si on est deux, on ne sera pas fusillés tout de suite. On lui a donné 5 minutes pour faire son paquetage, et il a disparu !". De l'été 1943 à sa libération en 1945, sa famille ne saura pas où il est détenu. Ils reçoivent des nouvelles grâce à la Croix-Rouge, mais le réseau est censuré, les lettres ne peuvent contenir que des banalités. "Ma mère avait inventé un code, en se disant qu'il allait comprendre. Pour dire ça va très mal pour les allemands, elle disait, en prenant le nom imaginaire d'une femme de chambre : Maria est très malade en ce moment. Quand mon père est revenu, il m'a dit : ta mère m'envoyait des lettres incompréhensibles ! En réalité il comprenait, il était informé par la radio donc il lisait entre les lignes".

En fait de détention, André François-Poncet, après quelques semaines au château d'Itter en Autriche en compagnie entre autres de Daladier, Jouhaux ou Reynault, est envoyé à l'hôtel Ifen en Autriche dans le Kleinwalsertal. Lorsqu'il arrive, après s'être attendu au pire, il ne peut en croire ses yeux : l'hôtel est plus que confortable, sa chambre dispose d'une vue et même d'une baignoire - chambre qu'il louera à nouveau dans les années 50, avec sa femme. D'autres hôtels avaient été choisis par les nazis pour les personnalités politiques jugées dangereuses pour le régime, mais Ifen est le seul à être rattaché non pas à un camp de concentration mais directement au bureau d'Ernst Kaltenbrunner. Par ailleurs, l'hôtel est un curieux mélange de prisonniers politiques et de familles de dignitaires nazis venues passer des vacances en montagne. C'est là qu'André François-Poncet va donc passer presque deux ans en semi-captivité. Dès lors, pour tromper l'ennui, il tient un journal.



L'hôtel Ifen vers 1936

Il écrit sur la politique grâce aux informations de la radio, mais cet ancien normalien, passionné de lettres, écrit aussi sur la littérature. Grâce aux ouvrages qu'il reçoit de la Croix-Rouge, il  analyse les oeuvres de Shakespeare, Balzac, Nietzsche ou Rabelais. Il relit Mein Kampf et délivre une quinzaine de pages d'analyse implacable et lucide sur ce livre où, selon lui, transparaît la folie de l'auteur: il le considère comme "un évangile de la guerre [...], l'un des exemples les plus frappants des dommages dévastateurs que peut causer un livre".

Durant ses promenades, il tente de discuter avec la population, bien que ce soit formellement interdit. "Il y avait une femme de chambre qui lui donnait des informations, il n'a jamais cité son nom, c'était trop dangereux pour ces gens. Il cachait son journal, mais il avait peur qu'on le trouve, donc il a fini par le confier à une journaliste qui l'a d'ailleurs raconté dans ses mémoires, et qui lui a rendu à sa libération", nous explique sa fille.
En mai 1945 en effet, les troupes du général de Lattre libèrent les prisonniers. "Un beau jour, à l'heure du déjeuner, on sonne à la porte, ma mère demande à mon frère Jean, le dernier des garçons, d'aller voir qui sonne à une heure pareille. On entend alors un hurlement : c'est papa ! On ne savait pas qu'il avait été libéré par de Lattre, on n'avait pas été prévenus qu'il rentrait en avion".

Thomas Gayda, l'éditeur de la version allemande, fait d'ailleurs remarquer qu'André François-Poncet a écrit un appel au secours en deux langues à destination des alliés qui figure dans le livre, et qu'avant cette lettre, personne n'avait entendu parler de cet hôtel. Elle a donc indirectement aidé à leur libération. Elle aurait pu mal tourner car les prisonniers étaient mêlés à des soldats nazis. Charles de Gaulle, quand il a été informé de leur libération par de Lattre, a même fait le déplacement jusqu'à l'hôtel.
Geneviève François-Poncet, elle, ne s'y est rendue qu'après la guerre, car sa "mère voulait savoir où il avait passé sa captivité. Il nous a montré l'hôtel qui avait été construit dans les années 30. Aujourd'hui, c'est un palace. Dans sa préface, il dit qu'il a probablement été moins malheureux ici que beaucoup de gens en France". Elle y est retournée quelques années après avec son frère Jean au moment où Thomas Gayda a découvert par hasard ces carnets et décidé de les faire éditer.

Ces carnets, illustrés dans l'édition allemande par des photographies d'époque, sont donc un intéressant mélange d'analyses politiques, historiques et littéraires. En tant qu'ancien ambassadeur et connaisseur de l'Allemagne, l'auteur porte un regard fin et lucide sur son temps, et apporte un témoignage important sur les conditions de détention moins connues des hauts prisonniers politiques de cette période.



 












André François-Poncet n'a par la suite jamais cessé d'oeuvrer en faveur du rapprochement franco-allemand : haut-commissaire de la zone française en Allemagne puis premier ambassadeur français en RFA, il fera visiter Paris au chancelier Konrad Adenauer. "Quand la haute commission s'est arrêtée, il aurait dû être à la retraite et rentrer. Mais comme son projet de pacifier les relations avec l'Allemagne avait échoué avant la guerre, il a demandé à rester quelques mois, parce qu'il voulait, pour lui-même, pouvoir se dire : finalement, j'ai réussi".

Tagebuch eines Gefangenen, Erinnerungen eines Jahrhundertzeugen
également disponible en version ebook
608 pages
29,99 EUR € (D)
Thomas Gayda / Europa Verlag
Plus d'actualités

France Alumni Deutschland : une plateforme pour faire fructifier son réseau

Le réseau France Alumni comptait déjà 24 sites de par le monde ; l'Allemagne s'ajoute désormais à ce palmarès. Les objectifs affichés de la nouvelle plateforme sont...
France Alumni Deutschland : une plateforme pour faire fructifier son réseau

Auf der Suche nach einer neuen Generation

Wie können die deutsch-französischen Gesellschaften der Herausforderung des Generationenwechsels begegnen? Und welchen Beitrag können sie zum Erlernen der Partnersprache...
Auf der Suche nach einer neuen Generation

Muckefunk "What ze funk ?"

Créée en juin 2014 cette émission franco-allemande de la radio 88vier basée à Berlin est un projet expérimental. C'est une émission bilingue, en français et en allemand...
Muckefunk &quote;What ze funk ?&quote;

"Je suis féministe, il est salafiste. Pourtant nous avons pu échanger"

Paru en juin 2015 aux éditions Carnets Nord, le livre La fille et le Moudjahidine naît de la rencontre étonnante entre la journaliste française Prune Antoine et...
&quote;Je suis féministe, il est salafiste. Pourtant nous avons pu échanger&quote;

Appel de l'Académie de Berlin

Cet article est une reprise du texte de l'Académie de Berlin.
Appel de l'Académie de Berlin
Rédiger un commentaire
  
Nom *
Email *
Votre commentaire *
Recevez la newsletter du franco-allemand
et retrouvez tous les mois l'actualité européenne
OK
Retrouvez nos magazines, des articles à l'unités et de nombreux cadeaux Parisberlin (livres, t-shirts, tasses etc...) dans notre boutique !
Mazars
© All Contents |  Contacts | Mentions légales