"Tagebuch eines Gefangenen", André François-Poncet en captivité
Publié initialement le
André François-Poncet était l'une des figures emblématiques de la diplomatie française en Allemagne, avant et après la seconde guerre mondiale. A Berlin, il avait rencontré Goebbels, Goering, Hitler. Le 30 octobre 2015, pour la présentation de l'édition allemande de ses carnets de captivité à l'Institut Français de Berlin, "Tagebuch eines Gefangenen", sa fille, Geneviève François-Poncet assistait avec émotion à une projection de photographies sur la vie de son père.
Photo ©Petra Kammann. Geneviève François-Poncet, Petra Kammann et l'éditeur Thomas Gayda lors de la soirée de présentation.
Le journal de captivité d'André François-Poncet "n'a jamais
été écrit comme un livre, nous confie sa fille Geneviève, c'était l'occupation
d'un prisonnier qui mourrait d'ennui et se rongeait d'inquiétude ! A
l'époque, on n'avait même pas pensé à le faire publier." Finalement
convaincu par deux de ses amis normaliens que ses carnets ont un réel intérêt
littéraire et historique, André François-Poncet les fait éditer une première
fois en France en 1953 sous le titre "Carnets d'un captif ". Aujourd'hui, pour les 70 ans de la fin de la
guerre, le livre est publié pour la première fois en allemand.
Après la rue d'Ulm, l'agrégation d'allemand et un sous-secrétariat
d'Etat, André François-Poncet est nommé ambassadeur de France à Berlin de 1931
à 1938. Sentant la guerre inévitable, il demande à être envoyé en Italie où il
reste jusqu'en 1940, mais ne peut que constater que Mussolini semble déjà avoir
fait son choix. De retour en France, le gouvernement français ayant fui
Paris, la famille s'installe en zone d'occupation italienne à Grenoble. En
1943, quand l'Italie cède devant les allemands, André François-Poncet est
prévenu par un responsable qui lui conseille de partir car la Gestapo de Lyon
n'a pas cessé de le surveiller.
Le jour même, des hommes armés font irruption dans la maison
de la famille François-Poncet. Geneviève, la plus jeune des enfants, est alors
âgée de 12 ans et nous relate la scène : "la Gestapo était là, avec deux
Citroën noires, le cinéma classique. Dans l'une des voitures, il y avait le
président Albert Lebrun, donc ça l'a rassuré, il s'est dit : si on est
deux, on ne sera pas fusillés tout de suite. On lui a donné 5 minutes pour
faire son paquetage, et il a disparu !". De l'été 1943 à sa libération en
1945, sa famille ne saura pas où il est détenu. Ils reçoivent des nouvelles
grâce à la Croix-Rouge, mais le réseau est censuré, les lettres ne peuvent
contenir que des banalités. "Ma mère avait inventé un code, en se disant qu'il
allait comprendre. Pour dire ça va très mal pour les allemands, elle disait, en
prenant le nom imaginaire d'une femme de chambre : Maria est très
malade en ce moment. Quand mon père est revenu, il m'a dit : ta mère
m'envoyait des lettres incompréhensibles ! En réalité il comprenait,
il était informé par la radio donc il lisait entre les lignes".
En fait de détention, André François-Poncet, après quelques
semaines au château d'Itter en Autriche en compagnie entre autres de Daladier,
Jouhaux ou Reynault, est envoyé à l'hôtel Ifen en Autriche dans le Kleinwalsertal. Lorsqu'il arrive, après s'être attendu au pire, il ne peut en croire
ses yeux : l'hôtel est plus que confortable, sa chambre dispose d'une vue
et même d'une baignoire - chambre qu'il louera à nouveau dans les années 50,
avec sa femme. D'autres hôtels avaient été choisis par les nazis pour les
personnalités politiques jugées dangereuses pour le régime, mais Ifen est le
seul à être rattaché non pas à un camp de concentration mais directement au
bureau d'Ernst Kaltenbrunner. Par ailleurs, l'hôtel est un curieux mélange de
prisonniers politiques et de familles de dignitaires nazis venues passer des
vacances en montagne. C'est là qu'André François-Poncet va donc passer presque
deux ans en semi-captivité. Dès lors, pour tromper l'ennui, il tient un journal.
L'hôtel Ifen vers 1936
Il écrit sur la politique grâce aux informations de la
radio, mais cet ancien normalien, passionné de lettres, écrit aussi sur la
littérature. Grâce aux ouvrages qu'il reçoit de la Croix-Rouge, il analyse les oeuvres de Shakespeare, Balzac,
Nietzsche ou Rabelais. Il relit Mein Kampf
et délivre une quinzaine de pages d'analyse implacable et lucide sur ce livre où,
selon lui, transparaît la folie de l'auteur: il le considère comme "un évangile
de la guerre [...], l'un des exemples les plus frappants des dommages
dévastateurs que peut causer un livre".
Durant ses promenades, il tente de discuter avec la
population, bien que ce soit formellement interdit. "Il y avait une femme de
chambre qui lui donnait des informations, il n'a jamais cité son nom, c'était
trop dangereux pour ces gens. Il cachait son journal, mais il avait peur qu'on
le trouve, donc il a fini par le confier à une journaliste qui l'a d'ailleurs
raconté dans ses mémoires, et qui lui a rendu à sa libération", nous explique
sa fille.
En mai 1945 en effet, les troupes du général de Lattre
libèrent les prisonniers. "Un beau jour, à l'heure du déjeuner, on sonne à la
porte, ma mère demande à mon frère Jean, le dernier des garçons, d'aller voir qui
sonne à une heure pareille. On entend alors un hurlement : c'est
papa ! On ne savait pas qu'il avait été libéré par de Lattre, on n'avait
pas été prévenus qu'il rentrait en avion".
Thomas Gayda, l'éditeur de la version allemande, fait
d'ailleurs remarquer qu'André François-Poncet a écrit un appel au secours en
deux langues à destination des alliés qui figure dans le livre, et qu'avant
cette lettre, personne n'avait entendu parler de cet hôtel. Elle a donc
indirectement aidé à leur libération. Elle aurait pu mal tourner car les
prisonniers étaient mêlés à des soldats nazis. Charles de Gaulle, quand il a
été informé de leur libération par de Lattre, a même fait le déplacement
jusqu'à l'hôtel.
Geneviève François-Poncet, elle, ne s'y est rendue qu'après la guerre,
car sa "mère voulait savoir où il avait passé sa captivité. Il nous a montré
l'hôtel qui avait été construit dans les années 30. Aujourd'hui, c'est un
palace. Dans sa préface, il dit qu'il a probablement été moins malheureux ici que
beaucoup de gens en France". Elle y est retournée quelques années après avec son
frère Jean au moment où Thomas Gayda a découvert par hasard ces carnets et
décidé de les faire éditer.
Ces carnets, illustrés dans l'édition allemande par des photographies
d'époque, sont donc un intéressant mélange d'analyses politiques, historiques
et littéraires. En tant qu'ancien ambassadeur et connaisseur de l'Allemagne,
l'auteur porte un regard fin et lucide sur son temps, et apporte un
témoignage important sur les conditions de détention moins connues des hauts
prisonniers politiques de cette période.
André François-Poncet n'a par la suite jamais cessé d'oeuvrer
en faveur du rapprochement franco-allemand : haut-commissaire de la zone
française en Allemagne puis premier ambassadeur français en RFA, il fera
visiter Paris au chancelier Konrad Adenauer. "Quand la haute commission s'est
arrêtée, il aurait dû être à la retraite et rentrer. Mais comme son projet de
pacifier les relations avec l'Allemagne avait échoué avant la guerre, il a
demandé à rester quelques mois, parce qu'il voulait, pour lui-même, pouvoir se
dire : finalement, j'ai réussi".
Tagebuch eines Gefangenen, Erinnerungen eines Jahrhundertzeugen également disponible en version ebook
608 pages
29,99 EUR € (D)
Thomas Gayda / Europa Verlag
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Cet article est une reprise du texte de l'Académie de Berlin.
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