Berlin en ivresse
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"Je suis féministe, il est salafiste. Pourtant nous avons pu échanger"
lundi 20 juillet 2015
Paru en juin 2015 aux éditions Carnets Nord, le livre La fille et le Moudjahidine naît de la rencontre étonnante entre la journaliste française Prune Antoine et un demandeur d'asile caucasien en Allemagne. Pendant deux ans, elle va l'accompagner dans son quotidien, ses pérégrinations ou encore ses compétitions de boxe pour décrypter l'ambivalence de ce personnage à la croisée des chemins, entre violence et embrigadement religieux d'une part et malaise social d'autre part. Ni roman ni essai, ce récit journalistique poignant sur le destin décousu d'un immigré oeuvre pour le maintien du dialogue au lendemain des attentats Charlie Hebdo. Interview avec l'auteure Prune Antoine.Cette enquête journalistique est écrite à la première personne et emprunte d'une certaine subjectivité. N'avez-vous pas eu la tentation de romancer et de basculer dans la fiction ? Prune Antoine: Pas vraiment. J'ai procédé à des modifications en changeant le nom de Djahar ainsi que toutes les informations susceptibles de permettre son identification et de le placer dans un danger quelconque. J'ai également effectué quelques distorsions temporelles, mais rien qui puisse affecter la réalité des faits. Tous les dialogues et situations dont il est question dans le livre sont rigoureusement exacts. Tout était la réalité, même si j'emploie la première personne. C'est d'ailleurs ce qui rend ce récit hybride, puisqu'il oscille entre enquête journalistique et trame narrative, avec des éléments de suspense qui captent le lecteur dans la durée. Le long format est ainsi particulièrement intéressant, puisqu'avec cette subjectivité assumée il permet une identification du lecteur, qui se trouve embarqué dans l'histoire et a accès aux doutes et au cheminement du personnage. Ce livre sur la rencontre de deux étrangers exilés chacun à leur manière, sans point d'ancrage ni repère, questionne l'identité. Le fait que l'action se déroule en Allemagne - pays toujours en quête de cohérence et d'unité après la réunification, joue-t-il un rôle ? Prune Antoine: Absolument. Je m'interroge beaucoup sur l'évolution d'une Allemagne transformée par l'immigration, qui se rêve "Multikulti" tout en faisant face à une montée de l'intolérance, avec depuis 2014 le mouvement Pegida contre l'immigration islamique. Ayant commencé à suivre Djahar en juin 2013, j'ai donc vécu avec lui la formation de ce mouvement et pu échanger sur l'hostilité croissante face aux étrangers, à laquelle il me disait ne pas être vraiment confronté en Allemagne. Toute cette question sous tend son intégration. C'était d'ailleurs mon projet initial : je pensais faire un portrait d'intégration de cet immigré du Caucase, en analysant parallèlement la crise identitaire de la société allemande. Il y a donc un véritable portrait en clair-obscur de l'Allemagne, qui se cherche et s'interroge sur le sort à donner à cette immigration grandissante. Comment avez-vous abordé le sujet de sa radicalisation religieuse ? Prune Antoine: Il a commencé à me parler du djihad au bout d'un an. Je savais qu'il était musulman et pratiquant, mais son rapport à la religion était assez flexible, avec ses deals de drogue notamment. Sa radicalisation s'est progressivement construite à partir des réseaux sociaux ; il m'a d'ailleurs montré plusieurs fois des vidéos bâties comme de véritables blockbusters qui se nourrissent du flou identitaire et de l'incapacité à construire des repères dans une société occidentale très libertaire. Il suivait en effet beaucoup l'actualité et semblait très perméable aux événements, toujours hésitant et sur le fil, toujours tenté par le départ pour le djihad. Ce malaise identitaire est vraiment au fondement de son embrigadement ; il ne parvenait absolument pas à se reconnaître dans les valeurs de la société occidentale, malgré des voies d'intégration qui se présentaient à lui comme l'apprentissage. Originaire du Caucase où il y a une quête de virilité excessive, il éprouvait le besoin d'agir en héros et se questionnait beaucoup sur le devenir homme et la manière de laisser une trace. Il avait évidemment connaissance de mon projet et de mes idées et je pense que notre relation amicale était aussi due à une forme de narcissisme chez lui, à un certain plaisir d'être objet d'attention. Comment avez-vous vécu cette relation en tant que journaliste, mais aussi en tant que femme ? Prune Antoine: Je suis féministe, il est salafiste. Pourtant nous avons pu échanger, discuter, nous disputer aussi. Je ne pouvais évidemment pas adhérer à ses propos et je lui faisais part sans détour de mon incrédulité quant aux 70 vierges qui l'attendent au paradis par exemple. Lui répondait, ou riait à mes critiques. Cette expérience est la preuve que le dialogue est possible malgré notre appartenance à des mondes très différents, sinon opposés. Je n'ai jamais ressenti de peur face à lui, et nous avons pu parler de choses très librement comme sa frustration sexuelle. Il était en effet pris en étau entre d'un côté l'islam radical avec toute la fermeture et la vision négative des femmes tentatrices qu'il implique, et de l'autre côté son assimilation de la culture occidentale. Je voulais ainsi montrer toute l'ambiguïté de cet être en pleine construction, qui oscillait en permanence entre les deux modèles, entre la brutalité de son pays d'origine et de son idéal religieux et l'adhésion aux droits occidentaux plus libertaires. Il n'est pas ici question de l'absoudre, mais j'ai voulu montrer son humanité, avec son espèce de schizophrénie constante symptomatique de son errance. Ce livre propose une alternative à la diabolisation de ces jeunes dans les médias. Quelque part, ce risque d'embrigadement résulte d'une faiblesse profondément humaine, d'une angoisse universelle, mais éprouvée à différents degrés. J'ai ainsi voulu entrer dans sa personnalité, dépasser l'observation journalistique pour rendre compte de la complexité de la situation, tout en montrant qu'un pont est toujours possible et doit être maintenu. La Fille et le Moudjahidine, de Prune Antoine Paru le 5 juin 2015, aux éditions Carnets nord Pour plus d'informations: ici.
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