Steinmeier : respect des accords et solidarité à l'égard de la Grèce
Publié initialement le
Interview avec Frank-Walter Steinmeier, ministre des Affaires étrangères de l'Allemagne.
Comment voyez-vous l'avenir des relations germano-grecques après la victoire de Tsipras ?
Cela va de soi de proposer notre coopération au nouveau gouvernement grec. Nous avons les mêmes objectifs : renforcer la monnaie commune et relancer la croissance partout en Europe pour faire reculer enfin le chômage qui est élevé, notamment dans le Sud.
Plaiderez-vous pour que la Grèce reste dans la zone euro ?
Nous voulons préserver notre communauté monétaire. La Grèce a déjà entrepris beaucoup d'efforts dans ce sens ces dernières années. Et le nouveau gouvernement devra lui aussi s'acquitter de cette responsabilité. Cela signifie qu'il faut respecter les accords. En contrepartie, la Grèce peut compter sur ses partenaires européens.
Est-ce bon pour les Grecs de faire moins d'économies ? N'y a-t-il pas d'autres moyens de venir en aide à la Grèce ?
Les économies ne sont absolument pas la seule ni la première réponse de l'Europe à la misère économique. Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'une croissance durable dépend de réformes structurelles réelles pour développer la force innovatrice et la compétitivité. La Grèce commence en à récolter les fruits. La croissance du pays est en hausse, et plus que partout ailleurs dans la zone euro. Il faut maintenant que la population en ressente les effets. Nous avons également lancé une offensive européenne en faveur de l'innovation qui porte sur plusieurs milliards. Une politique budgétaire raisonnable reste un pilier de cette stratégie.
Dans quel délai les sanctions peuvent-elles être levées si Poutine arrête les séparatistes dans l'est de l'Ukraine ?
Ce n'est pas le moment de discuter d'une levée des sanctions. Nous assistons à nouveau à une montée en puissance de conflits violents qui émanent apparemment surtout des séparatistes. S'il s'avérait que la Russie a prêté son soutien, alors il n'y a certainement pas lieu de réduire les sanctions. Mais il ne faut pas non plus s'imaginer que nous pourrons résoudre ce conflit avec des sanctions. Même si ma patience et celle de l'opinion publique est plutôt à bout, nous ne pourrons pas faire autrement que de trouver des solutions avec les parties au conflit et ramener ces dernières à la table de négociations.
La Russie ne devrait-elle pas maintenant fermer ses frontières, cesser ses livraisons d'armes et de munitions et retirer ses "conseillers militaires" ?
Tout cela fait partie des accords de Minsk et a été accepté par la Russie, mais seulement en principe. Lors des négociations de Berlin la semaine dernière, il a été question de convenir de plusieurs étapes opérationnelles. Il est toujours aussi judicieux de commencer à tracer une ligne de démarcation, d'en retirer les armes lourdes et d'amener dans cette zone tampon une équipe d'observateurs internationaux. Ce serait un mécanisme qui pourrait calmer les hostilités et ensuite également conduire à un cessez-le-feu solide.
Une zone de libre-échange allant de Vladivostok à Lisbonne peut paraître illusoire compte tenu des combats ? Est-ce plus qu'une utopie ?
Tout d'abord, c'est une proposition que le président Poutine a lui-même formulée dans le discours très remarqué qu'il a prononcé en 2001 au Bundestag. À l'Ouest comme à l'Est, cette idée a bien été considérée à l'époque comme une perspective à long terme. Une décennie s'est écoulée depuis cette date. Les relations ne se sont malheureusement pas améliorées. Néanmoins, nous ne devons pas rejeter à tout jamais de telles perspectives et il ne faut pas non plus les voir comme un cadeau à la Russie. Si nous parvenons à résoudre la crise ukrainienne, il sera dans notre intérêt de développer des instruments à long terme qui apportent plus de stabilité dans les relations entre la Russie et l'Union européenne. Cela peut être un tel partenariat économique et tout le monde profiterait des avantages économiques qui en résulteraient.
Vous voyagez beaucoup et êtes sans cesse interrogé sur le mouvement Pegida. Qu'en pensez-vous ?
Je crois que nous ne nous sommes pas encore bien rendus compte en Allemagne combien Pegida a déjà nui à notre image dans le monde. Préoccupés par ce phénomène et ses fonctionnaires, nous n'entendons presque plus les nombreuses réactions de surprise et aussi d'inquiétude que suscitent ce mouvement à l'étranger. Il ne faut pas oublier que l'on reste extrêmement sensible et vigilant à l'étranger quand des paroles xénophobes et racistes sont proférées dans notre pays. Dieu merci, je peux répondre qu'une manifestation de Pegida à Dresde n'est pas représentative de notre société et que partout en Allemagne les citoyens se sont mobilisés avec une majorité écrasante pour faire savoir que l'Allemagne est et reste un pays ouvert.
Votre parti est divisé sur le traitement de Pegida. Personnellement, est-ce que vous chercheriez le dialogue avec les adeptes de Pegida ?
Je me demande si je ne suis pas déjà en dialogue. Je discute tous les jours avec les citoyens, surtout dans ma circonscription du Brandebourg, et je connais donc les préoccupations de mes concitoyens. Cela m'agace que les fonctionnaires de Pegida disent n'importe quoi sous prétexte que personne ne les écoute. Naturellement, dans un grand pays comme l'Allemagne, certains citoyens sont inquiets et insatisfaits. Mais je n'ai pas besoin du dialogue avec les fonctionnaires de Pegida, et ils n'en ont pas besoin non plus.
Face au succès de Pegida et de l'AfD et vu leur coopération, un Front national allemand ne risque-t-il pas de voir le jour ?
Il est possible que des cadres de l'AfD et de Pegida tentent d'organiser un mouvement de rassemblement contre l'Europe, contre la diversité sociale et religieuse et contre l'ouverture de notre pays au monde. Je doute que ces tentatives puissent aboutir aux mêmes résultats qu'en France.
Votre partenaire de coalition a ouvert un débat sur l'appartenance de l'Islam à l'Allemagne.
C'est tout simplement un fait qu'après des décennies d'immigration en provenance de pays musulmans, notamment de la Turquie, l'islam est devenue une partie de la réalité allemande.
Quel est le signal donné en envoyant aux funérailles à Riad non pas un représentant actif de l'État mais Christian Wulff, l'auteur de la phrase "L'islam fait partie de l'Allemagne" ?
Ce sont deux choses différentes. Il est important que notre pays soit représenté de manière adéquate. Le président fédéral ayant un empêchement, selon l'usage qui n'est pas seulement le nôtre, c'est un ancien chef de l'État qui est chargé de le remplacer.
Ce texte est paru originellement dans le quotidien allemand "Rheinische Post"