En France comme en Allemagne, de plus en plus de bacheliers décrochent le Graal, la fameuse "mention très bien" qui correspond à une note de 1,0 pour les Allemands. Depuis une dizaine d'années, les chiffres ne cessent d'augmenter, ont même doublé côté français. Le baccalauréat est-il de plus en plus facile, ou bien les élèves sont-ils de plus en plus doués ? Les facultés sont-elles prêtes à recevoir tant de si bons élèves ? La réalité du marché universitaire n'est pas toujours à la hauteur des espoirs des nouveaux diplômés.
Cette
année encore, plus d'un million de jeunes Français et Allemands ont passé les épreuves du baccalauréat ou de l'Abitur. En France, neuf
lycéens sur dix réussiront à l'épreuve, en Allemagne, le taux de réussite
est encore plus élevé. Mais de nos jours, le suspense ne tourne plus vraiment
autour de celui qui réussira ou pas : c'est la course à l'excellence qui fait
monter l'adrénaline des bacheliers, et les candidats à la mention très bien
sont de plus en plus nombreux.
Il
y a dix ans, 2,9% des bacheliers français décrochaient une mention très
bien: en 2014, ils étaient très exactement le double à obtenir une note
supérieure à 16. De l'autre côté du Rhin aussi les chiffres sont en hausse,
avec des différences régionales. Si dans le Bade-Wurtemberg, les chiffres
sont plutôt en baisse, le Land de Brandebourg a vu tripler ses scores, celui
de Berlin enregistre quant à lui cinq fois plus de 1,0 en 2014 par rapport à
2006.
C'est
à se demander si les nouvelles générations de bacheliers se surpassent
intellectuellement, ou bien si le niveau baisse. D'année en année, les
critiques fusent : politiques et médias des deux pays dénoncent des correcteurs
de plus en plus indulgents, des mentions "cadeaux". En France, bon nombre
d'observateurs mettent également ces très bons résultats sur le compte des
options cumulées. Les spécialistes allemands eux aussi se creusent la tête
sur les raisons d'un tel phénomène. Le magazine Der Spiegel a passé l'examen
de mathématiques à la loupe et dénonce des épreuves "un peu partout de plus
en plus faciles." Pour trouver la bonne réponse, "il suffit désormais de lire
attentivement les consignes", affirme le magazine. Mais dans les deux pays, il
plane un certain flou autour de ces recherches, et le même magazine reconnait
ne pas disposer de "vraies preuves" illustrant le déclin général de l'Abitur
: "Quel est le véritable niveau des élèves, comment les compétences
évoluent - tout cela reste mystérieux, car les données nécessaires à une
telle évaluation n'existent pas."
Quand
la justice entre en jeu
Le
boom des 1,0 n'est pas arrivé sans apporter avec lui son lot de répercussions
sur le marché de l'université en Allemagne, note l'avocat Arne-Patrik Heinze.
Spécialisé dans les recours juridiques en milieu universitaire à Hambourg,
il constate des chamboulements sur ces dernières années : "De plus en plus de
lycéens obtiennent une excellente note à l'Abitur. Mais les capacités
d'accueil des universités ne sont pas pour autant supérieures, alors la
bataille pour obtenir une place se règle de plus en plus souvent au tribunal."
Pour l'avocat, le boom des "Einser" à l'Abitur et la popularité croissante
des études supérieures ne font pas bon ménage avec l'état actuel de
l'université allemande, plutôt mal en point sur le plan financier: "Des
postes de professeurs ne sont pas reconduits, les frais qui devraient être
endossés par l'état sont pris en charge par l'extérieur. L'université se
retrouvedans une position de dépendance."
Des
facultés en mauvaise santé financière, des étudiants toujours plus nombreux
à vouloir fouler le sol de l'enseignement supérieur : forcément, dans certaines
filières, ça coince : "Dans les filières populaires comme la médecine, la pharmacie,
les études vétérinaires et la psychologie, les recours en justice sont de
plus en plus nombreux, et de moins en moins fructueux. Mais la situation se
détériore également dans les filières de droit, d'enseignement et de
gestion", déplore Arne-Patrik Heinze.
En
France, l'effet entonnoir
En
France aussi, les capacités d'accueil sont souvent dépassées, particulièrement
en droit, en économie, sociologie, psychologie, ainsi qu'en STAPS. En 2015,
plusieurs milliers de bacheliers, bien qu'inscrits sur le portail Admission
post-bac (APB), s'étaient retrouvés le bec dans l'eau à quelques semaines de
la reprise. "C'est un problème qui existe depuis deux ou trois ans, et qui
tend à se développer", admet Thierry Mandon, secrétaire d'état chargé de
l'enseignement supérieur. "Les bacheliers sont toujours plus nombreux, et surtout
toujours plus nombreux à choisir l'université.
L'an
dernier déjà, l'UNEF avait tiré la sonnette d'alarme. Dans son enquête
annuelle, le syndicat étudiant dénonçait des tensions croissantes pour
s'inscrire dans l'enseignement supérieur et estimait à 7 500 le nombre de
bacheliers sur liste d'attente ou sans place à la veille de la rentrée. Le
système APB est pointé du doigt, une "plate-forme de tri aléatoire", inadaptée
au flux de candidats actuels selon le syndicat. Toutefois, le magazine L'étudiant
relativise: "Des élèves avec de très bons dossiers se sont en effet retrouvés
sans plan pour la rentrée. En imputer la responsabilité aux algorithmes
d'APB, ce serait oublier les erreurs des utilisateurs. Ainsi, certains futurs
bacheliers, confiants dans leur dossier, ont-ils formulé des voeux uniquement
dans des classes prépas très cotées, assaillies d'excellentes candidatures."
"Bildung
für alle" : l'éducation pour tous ?
Pour
l'avocat Arne-Patrik Heinze, l'abondance de recours juridiques entraîne un
déséquilibre au pays de la "Bildung für alle": "L'obtention d'une place à
l'université est devenue une sorte de privilège. Afin de décrocher
l'inscription de ses rêves, une aide juridique est souvent nécessaire. Mais
celle-ci entraîne
des
coûts. Ainsi, le concept de l'éducation pour tous n'est plus vraiment respecté",
affirme-t-il. Une position que partage la FAZ : "Qui veut étudier la médecine
a besoin de nos jours d'un 1,0 à l'Abitur ou bien de parents riches pouvant
financer un bon avocat", ironise le quotidien. Le journal note que les recours
en justice doublent d'année en année, particulièrement dans cette filière.
Côté
français, les querelles juridiques ont également le vent en poupe, mais pas
à tous les niveaux. De plus en plus de recours sont intentés et gagnés par
des étudiants ayant réussi leur première année de master, mais que
l'université refuse d'inscrire en seconde année, celle de l'obtention du diplôme.
Chez les premières années en revanche, la pratique n'est pas encore très courante.
Mais l'entraide s'organise de façon bénévole entre étudiants. "S'inscrire
dans la filière d'études supérieures de son choix devient un véritable
parcours du combattant", déplore William Martinet, président de l'UNEF. C'est
pourquoi le syndicat a lancé il y a un an le dispositif "SOS Inscription" afin d'apporter un
accompagnement averti, et humain, aux futurs étudiants de première année.
L'Allemagne, la France et la Pologne sont réunies depuis 1990 dans le Triangle de Weimar. La récente crise en Ukraine a montré que cette coopération est plus que...