Par Sophia Andreotti

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Plus jamais dernier de la classe


Publié initialement le lundi 12 janvier 2015
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La France envisage de supprimer les notes à l'école. Qu'en pensent nos voisins allemands ? Reportage dans la banlieue de Reinickendorf, au nord-est de Berlin, où une école a imaginé un système d'évaluation différent et mis les notes au rencard.



Par Sophia Andreotti

De son bureau, Nuri Kiefer aperçoit les tours d'habitation du Märkisches Viertel, cité populaire de la banlieue est de Ber- lin : "Ici, en Allemagne, plus qu'ailleurs, l'origine sociale conditionne le succès à l'école - c'est ce qu'a révélé la dernière étude Pisa. Avec notre école, nous voulons offrir plus de chance pour apprendre que dans le système traditionnel très sélectif et très hiérarchisé." Cet ancien professeur et directeur de Realschule à Karlsruhe dirige aujourd'hui le Campus Hannah Höch, une "Gemeinschaftsschule" qui va de la première à la dixième classe (du CP à la seconde). En plus de retenir les élèves dans le même circuit - en Allemagne, il faut habituellement choisir entre trois parcours à partir de la cinquième classe (Hauptschule/ Realschule/Gymnasium) -, l'établissement scolaire expérimente une autre manière d'enseigner.C'est non sans fierté que Nuri Kiefer fait visiter sa classe modèle. Ici, pas de tables en rangs serrés ou d'institutrice debout devant des élèves sages comme des images. Ça chuchote à droite à gauche, quelques petits vont et viennent dans leurs pantoufles, mais l'ambiance générale est à la concentration. Sur tout un étage, les murs ont été abattus pour réunir trois niveaux : les quatrième, cinquième et sixième classes. Tandis qu'un groupe d'élèves s'instruit sur les méfaits du réchauffement de la planète, un autre s'exerce aux mathématiques : réunis en cercle autour du professeur, ils écoutent ses explications, avant de les mettre en application dans des exercices. Besoin d'aide ? Chacun dispose d'un magnet à son nom qu'il peut coller sous une pancarte "Hilfe gebraucht" pour obtenir le secours d'un éducateur. "Notre particularité ici, c'est de prendre en compte le rythme de l'élève", explique Nuri Kiefer. "Nous mélangeons les âges, les niveaux, les compétences, pour créer une hétérogénéité qui agisse positivement en retour, parce que justement, il faut s'occuper de chacun individuellement." Surtout, ici, pas de notes de 1 à 6. À la fin de la journée, chaque élève renseigne un "Logbuch", une sorte de cahier d'évaluations où il note ce qu'il a appris durant la journée, les progrès réalisés et les nouveaux objectifs à atteindre. L'établissement a ainsi repensé l'intégralité de son système d'évaluation : "Plus l'enfant grandit, plus ce système se différencie", explique Nuri Kiefer. Dans les premières années, l'enfant se contente de remplir, avec son professeur, un questionnaire qui détaille ses compétences : "Je sais écouter", "Je travaille en silence", "Je sais réciter des poèmes", "Je sais reconnaître des mélodies", etc. À partir de la septième classe, toutes les quatre à six semaines, les élèves se voient remettre des "Zertifikate", une évaluation rédigée pour chaque matière. "Il y a trois types de Zertifikate qui montent en grade, 'Basis', 'Kompakt' et 'Master' : plus l'élève s'applique, plus il a de chance d'obtenir un Zertifikat avec un niveau 'Master'", précise Nuri Kiefer. Enfin, deux fois par an, parents, enfant et instituteur s'assoient ensemble pour discuter et faire le point.Nuri Kiefer espère recevoir à l'avenir de nouveaux fonds du Sénat de Berlin pour renforcer ce projet pilote. En France, plusieurs collèges se sont aussi essayés à des systèmes de notation alternatifs. Les bulletins se colorent en rouge (non acquis), vert (acquis) ou jaune (partiellement acquis) et ce sont là encore les compétences des élèves qui sont valorisées.


La fin de zéro pointé

La fin de ces bonnes vieilles notes. Qui, enfant, n'en a pas rêvé un jour ? Fini le pénible rendu des copies rangées par ordre décroissant, fini le zéro pointé du cancre, fini le 20 sur 20 d'un premier de la classe aux anges. Ce qui n'est encore qu'au stade d'expérimentation dans les deux pays pourrait bien devenir réalité dans les écoles françaises. Dans un rapport diffusé début décembre, le Conseil supérieur des programmes s'en prend au modèle d'évaluation à la française et à sa notation chiffrée qui réussit aux bons élèves, mais décourage les plus faibles. Il préconise la mise en place d'un système d'évaluation qui ne serait plus perçu "comme un moyen de récompense ou de sanction, et un instrument de tri et de hiérarchisation sociale". Pour ce faire, les experts proposent de supprimer les notes et les moyennes et d'imaginer un système d'évaluation qui mette l'accent sur la mise en valeur des compétences et les qualités de l'élève, plutôt que sur le classement ou la concurrence. Engagée dans le vaste plan de Refondation de l'école adopté en juillet 2013 et qui prévoit une évaluation valorisante, "conduite avec bienveillance", la ministre de l'Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, doit faire connaître sa décision au premier semestre 2015.Mais celle qui a fait une priorité de la lutte contre "les déterminismes sociaux" qui pèsent si lourd dans les des- tins scolaires, devra faire preuve de courage si elle veut trancher dans le vif du débat. Une réforme n'a même pas été annoncée que les défenseurs de la note sont déjà partis en croisade et une avalanche de critiques s'est abattue dans les médias. Le très médiatique Alain Bentolila, professeur de linguistique à l'université Paris-Descartes, s'est notamment fait la voix des partisans de la vieille école, s'emportant dans une tribune parue dans le Figaro sur le remplacement "de l'exigence par la complaisance afin de ne pas stigmatiser les élèves en difficulté". Selon lui, "maquiller les fautes, truquer les résultats" ne servirait à rien, "le maître ou la maîtresse (n'étant) pas là pour être 'gentil'". Il faut dire que la polémique tombait à pic, peu après la sortie de son dernier livre Comment sommes-nous devenus si cons ? (First, septembre 2014), ouvrage dénonçant la décadence intellectuelle de la France - un sujet décidément à la mode."Romantisme naïf", "hypocrisie politique", "mesurette", "Des chiffres, des lettres ou des couleurs, c'est du pareil au même", "Que ce soit pendant le Bac, à la fac, au travail : on est notés partout, alors autant s'habituer petit"... Le débat mériterait de gagner en profondeur. Car le problème est bien réel et mérite qu'on s'y attarde. Effet pervers du système, l'enquête triennale Pisa a montré que les élèves français répondent moins aux questions ouvertes. Ils sont 75 % à craindre de se tromper ou d'avoir une mauvaise note, quand la moyenne des pays de l'OCDE est de 59 %. Camille, jeune enseignante dans une école huppée du canal Saint-Martin, à Paris, confirme : "Dès le CP, le rythme est très soutenu et on ne s'adapte pas à l'élève. C'est la course à qui aura la meilleure note. D'un point de vue pédagogique, c'est difficile d'en sortir car c'est la norme. J'ai tout le mal du monde à faire travailler mes élèves qui apprennent à lire sur 'l'écriture tâtonnée'. J'énonce un mot et ils doivent essayer de l'écrire en écoutant les sons. Il faut que j'insiste pour qu'ils osent se lancer."


"On entre dans la cuisine"

Alors, la note, un frein à l'apprentissage ? Antoine Prost, historien de l'éducation, rappelait lors des "Journées de l'évaluation" mi-décembre, que la note sur 20 a fait son apparition au début du XIXe siècle, à l'école Polytechnique, pour écrémer les candidats au concours... avant de s'étendre aux écoles secondaires, puis dans une moindre mesure, au primaire. À la base, "l'évaluation par la note est liée à la nécessité du classement", insiste Alain Prost. "Noter un processus d'apprentissage par une évaluation qui exclut, c'est comme interdire la piste de ski à l'apprenti skieur qui vient de tomber. Si le fait de tomber vous disqualifie pour continuer, et bien il n'y a pas d'apprentissage..." Et de poursuivre : "Il y a un problème de savoir-faire. On entre dans la cuisine, il faut que les profs apprennent à conseiller les élèves." Mais difficile de changer les mentalités en France, comme en Allemagne. Pour Nuri Kiefer, "il y a de grands blocages. Si on a du mal à changer notre système de notation, c'est aussi parce que les professeurs ont eux-mêmes été un jour écoliers, étudiants. Nous avons tous grandi dans ce système ! À mon avis, cela va prendre encore beaucoup de temps avant que les choses changent. " À l'école Hannah Höch, un étage en-dessous de la classe réunie sur un même niveau, on change d'ambiance. Ici, son directeur n'a pas encore obtenu les fonds pour réaliser les travaux nécessaires à l'aménagement de l'espace: "Vous voyez, c'est plus bruyant. Prendre garde aux autres est moins naturel chez les enfants", constate-t-il. Changer la manière d'évaluer, serait-ce aussi changer la manière d'enseigner ? Pour Nuri Kiefer, "si les instituteurs voient dans la note un bon instrument de leur enseignement, c'est compliqué de leur retirer. Sans compter qu'ils risquent d'avoir beaucoup plus de travail. Changer l'école nécessite plus de temps, plus de compétences, de formation et plus de reconnaissance aussi. Dans l'essentiel, c'est aussi pas mal une question d'idéalisme..."
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