Paris - Débat : "Histoires d'une société d'immigration des deux côtés du Rhin"
Paris - Débat : "Histoires d'une société d'immigration des deux côtés du Rhin"
"Si on s'enferme, on se rétrécit"
vendredi 12 décembre 2014
L'historien Benjamin Stora, spécialiste du Maghreb et de la guerre d'Algérie et nouveau directeur du musée de l'histoire de l'immigration revient sur la perception de Schengen à l'intérieur et à l'extérieur de l'Europe et plaide en faveur d'un discours positif sur l'immigrationQu'est-ce que Schengen a apporté à l'Histoire de l'immigration ? Schengen a apporté à la fois une notion de fermeture vis-à-vis du Sud et une grande ouverture à l'intérieur de l'espace européen. Si on se trouve de l'autre côté de la Méditerranée, en Afrique ou au Maghreb, Schengen est considéré comme une régression, des barbelés, quelque chose qui devient un empêchement, un mur. Mais c'était déjà le cas auparavant? Oui, mais Schengen a été vécu comme l'arrivée de temps beaucoup plus difficiles pour rentrer en Europe et obtenir des visas. Par contre, quand on est de l'autre côté, en Europe, Schengen c'est la possibilité pour chacun de circuler librement y compris pour les pays européens pauvres, ce qui crée des rapports à l'étranger européen, comme les Roms ou les Bulgares, qui menacent la prospérité et les souverainetés nationales. Aussi, Schengen est considéré ici par certains partis politiques comme une menace, qui permet à des personnes plus pauvres de rentrer dans des territoires considérés comme plus riches. Schengen, d'une rive comme de l'autre, inspire des peurs. Êtes-vous pour ou contre Schengen? Schengen et l'Euro sont les actes décisifs de la fondation d'une Europe unifiée, où les européens peuvent circuler au sein d'un même espace. Cela donne cette notion progressiste, qui est celle d'une plus grande fluidité, d'une plus grande circulation des hommes, des biens et des marchandises. C'est un aspect que l'on ne peut pas récuser. Ceux qui le récusent sont des nationalistes qui veulent fermer toutes les frontières de la France. C'est la stratégie de Marine Le Pen (FN). Est-ce que les pays de la Méditerranée nous regardent comme un tout? Oui, de plus en plus. Ce n'était pas le cas il y a 20 ans car chaque pays du Sud avait alors un rapport privilégié avec un seul pays d'Europe. C'est encore le cas aujourd'hui ? De moins en moins. Prenons le cas du Maroc. On est sorti du tête-à-tête franco-marocain sur la question des visas, de la circulation, etc. Aujourd'hui, il y a une immigration marocaine qui est extrêmement importante aux Pays-Bas et en Belgique. Proportionnellement, je pense qu'elle est même aussi forte, voire plus forte qu'en France. Est-ce que c'est bon pour la France ? Je pense que oui. C'est sortir de ce tête à tête obsessionnel entre la France et ses anciennes colonies. C'est aussi la possibilité pour les immigrations de regarder ailleurs, de voir qu'il y a d'autres pays, d'autres univers, etc. En même temps, c'est dangereux pour la France en termes d'influence économique. Mais on ne peut pas d'un côté diaboliser l'immigration, inventer des arsenaux de lois absolument incroyables, organiser dans l'espace médiatique la fabrication de stéréotypes négatifs et s'étonner que les gens qui vivent dans le Sud ne veuillent plus venir en France et investissent ailleurs, dans d'autres pays européens ou en Asie, en Amérique Latine. Il faut être cohérent. Qu'est-ce qui a changé dans le discours français sur l'immigration ? On a totalement inversé le regard. Ce n'était pas le cas en France jusqu'aux années 80. C'est un souvenir subjectif, mais quand même, je me rappelle qu'il y avait le groupe Carte de Séjour, les chanteurs Rachid Taha et Khaled, l'exposition sur les enfants de l'émigration à Beaubourg, la construction des grandes associations antiracistes, la marche pour l'égalité, la marche des beurs, les grands concerts de fraternité, les défilés de mannequins, les documentaires, les films... Il y avait une sorte d'effervescence culturelle autour de l'apport des descendants d'immigrés dans les années 80, qui s'est conclu par exemple par le grand défilé du 14 juillet 1989 de Jean-Paul Goude, très métissé, très coloré... La crise est arrivée au milieu des années 90 avec la guerre civile en Algérie, la question de l'islamisme, de l'intégrisme, du terrorisme. Donc "black-blanc-beur" en 1998 était un accident ? "black-blanc-beur", c'est la fin de cette histoire démarrée en 1982 avec Jack Lang (ancien ministre socialiste de la culture NDLR) Il y a en France une vraie singularité, c'est la question du rapport à la Guerre d'Algérie. Des millions de français ont été concernés par cette histoire, donc quand à la télévision ils ont vu revenir le terrorisme, la guerre, la violence, ils se sont dit "tiens, c'est un remake !". En Europe, je pense que progressivement s'est installée la peur d'une circulation de personnes venant de pays pauvres, moins riches que l'Angleterre, l'Allemagne, etc. Pourtant on circule peu. Oui, mais c'est un fantasme. Un pays comme la Turquie accueille 100 000 réfugiés en un mois sur son sol. C'est phénoménal. En France, il y a 150 migrants à Calais et c'est un drame national ! Pourquoi ? Parce qu'ils accèdent à un système social qu'on croit tellement français et qu'on ne veut pas ouvrir ? Ce qui constitue le seul lien citoyen national dans une situation de crise morale énorme, c'est la question de la sécurité sociale. C'est le coeur du modèle social. Quand on vit à l'étranger, on le sait. On revient en France pour se faire soigner ! On a donc peut-être la peur de la disparition ou de la dislocation de ce modèle. Il y a d'autres explications possibles, comme la peur de la perte d'identité nationale, qui est une fabrication mythologisée qui traine dans les têtes depuis toujours en France, selon laquelle la France n'est pas une nation de migrants, qu'elle s'est construite sans les migrants ni les étrangers. Elle existe et elle existera de tout temps. C'est un mythe qui devient une réalité dans la tête de millions de gens, qui en sont persuadés. Je rencontre cette difficulté avec la Cité de l'Immigration, où les gens disent grosso modo "ce n'est pas notre Histoire". Comment définiriez-vous, en tant qu'homme de gauche, votre feuille de route ? Ce que je vais essayer de faire, c'est d'abord de renverser le regard, en disant que la question du multiculturel, de la circulation, des échanges, a toujours été un enrichissement pour la France. Dès lors que l'on s'enferme sur nous-mêmes, on s'appauvrit et on disparaît. Ce qui fait le rayonnement culturel de la France au niveau mondial, c'est qu'on a un certain nombre d'écrivains qui ne sont pas nés en métropole, mais qui portent la littérature française dans le monde, d'Edouard Glissant, en passant par Kateb Yacine et Tahar Ben Jelloun... En France, à part peut-être Tahar Ben Jelloun, les autres on ne les connaît malheureusement pas. Mais ils sont enseignés aux Etats-Unis! Si on s'enferme, on se mutile, on se prive, on se rétrécit. Déjà, dire aujourd'hui que l'échange est une source d'enrichissement, dans la masse d'enquêtes, d'études, de livres, de journaux, où on dit grosso modo que l'immigration, que les étrangers sont une menace, une crainte, une destruction, c'est déjà une attitude. Etre à gauche, c'est réaffirmer cette position. Propos recueillis par Olivier Breton
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