L'Allemagne doit oser la jupe !
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Tant de postes de dirigeants occupés par des hommes, tant de haine envers les femmes. Et pourquoi pas une prime à la casse pour vieux machos ? Une lettre ouverte à la chancelière Angela Merkel.
Sans doute vous rappelez-vous ce fameux 18 septembre 2005 (au soir des résultats des élections fédérales remportées par la CDU, ndlr) : lors du débat télévisé entre chefs de partis, vous étiez assise face à Gerhard Schröder. Lui qui venait de subir un revers électoral déclarait alors, imperturbable : "À part moi, personne n'est en mesure de former un gouvernement stable". Alors que tout portait à penser le contraire, il vous qualifiait de "perdante", vous, désormais la femme politique la plus puissante d'Allemagne, et rejetait toute discussion dans l'hypothèse où vous vous arrogeriez le leadership. Gonflé à la testostérone, il assenait qu'il ne fallait pas tomber dans l'exagération, invoquant une réalité à laquelle il était bien le dernier à croire.
Comme pour vous ce jour-là, il en va pour des milliers de
femmes managers aujourd'hui, en Allemagne. Des études ont beau démontrer que
les femmes ont des résultats équivalents à leurs collègues masculins - si ce
n'est meilleurs ; qu'elles réussissent mieux à l'école et à
l'université ; qu'elles ont de meilleures compétences relationnelles et
une plus grande aptitude à diriger ; qu'elles savent mieux anticiper
les risques et assurer l'avenir de leur entreprise ; malgré tout, chaque
jour ou presque, lorsqu'elles réclament des postes à responsabilité, on leur
oppose une fin de non-recevoir, elles sont étiquetées de perdantes, subissant
un mépris qui s'exprime autant par la parole que par les gestes.
Dans les 30 entreprises du Dax, elles sont tout
juste onze femmes à être parvenues jusqu'aux
conseils d'administration et - plus admirable encore - à avoir tenu bon à leur
poste. Parmi elles, six sont en charge des ressources humaines, cinq seulement
ont le privilège d'assumer d'autres fonctions. Les femmes se voient offrir des
sièges éjectables, et la plupart sont débarquées prématurément. Lors du dernier
Sommet des femmes en mai 2013, vous aviez exigé, Madame la chancelière, "de
passer la seconde". Or actuellement, on a plutôt enclenché la marche arrière.
Sept des 18 femmes en poste au sein des comités directeur du Dax ont depuis
lors perdu la manche, quittant toutes leur fonction
"pour raisons personnelles" et passant à la trappe des stratégies économiques.
Personne ne s'en est indigné, on s'est gardé de toute
exagération et, à la fin de la journée, ces messieurs ont sagement récité leur
prière du soir : "À part moi, personne n'est en mesure de former un
gouvernement stable." Une conviction si profondément ancrée chez les hommes que
certains n'hésitent pas à aller en justice pour la faire respecter. C'est le
cas d'un ex-directeur des Ressources Humaines de la Commerzbank qui a porté
plainte contre sa révocation - et a remporté son procès. Parmi ces dames,
aucune n'a porté plainte, ou ne s'est même lamenté sur son sort.
Imaginons un instant qu'en l'espace de 12 mois, on révoque
non pas la moitié des femmes, mais la moitié des hommes des conseils
d'administration du Dax. 85 hauts dirigeants perdraient leur poste,
renonceraient à leurs prérogatives "pour raisons personnelles" et se
consacreraient à leur vie privée. Les journaux ne feraient pas seulement leurs
titres sur "La nouvelle colère des hommes" (une
allusion à la couverture de l'hebdomadaire Die Zeit qui titrait début octobre
sur "Die Wut der Männer", la colère des hommes, ndlr), ce serait une
déclaration de guerre !
Mais pas d'inquiétude : les 173 hommes siégeant aux
conseils d'administration du Dax ont leur place bien au chaud. Lorsqu'ils
quittent leur entreprise, c'est pour prendre une "retraite bien méritée" ou
accéder à une position plus prestigieuse. Même les managers délogés
publiquement se retournent facilement.
Ces messieurs les dirigeants d'entreprise sont d'ailleurs
presque tous "heureux en mariage et père de X enfants". Même le plus court des
CV l'affiche fièrement. Permettez-moi une petite question à ce sujet, Madame
Merkel : l'un de ces messieurs était-il présent lors de votre récente
rencontre avec des pères de famille à la chancellerie ? Vous est-il arrivé
d'évoquer avec eux la difficulté à concilier vie professionnelle et vie
familiale ? Ou de leur demander si, lors de leurs déplacements professionnels,
ils ont mauvaise conscience de ne pas pouvoir aller chercher leur fille à
l'école ou de manquer le spectacle de danse de leur fils ? Il est probable
que non car, hommage leur est rendu dans les discours de remerciements,
derrière le bonheur d'un homme marié se cache une femme qui veille à lui
assurer les coudées franches.
On ne pourrait être plus hypocrite. Le directeur de la plus grande société de conseils en
Allemagne réclame haut et fort davantage de femmes aux postes de direction,
pour avouer ensuite dans l'embarras, que dans sa propre entreprise, les femmes
aux postes de responsable sont des oiseaux rares. D'après lui, c'est la
fréquence des déplacements professionnels qui ne serait pas conciliable avec
les tâches familiales. Ça par exemple ! À croire qu'en Allemagne, les
chefs d'entreprise sont tous de grands voyageurs dans l'âme sans enfant.
Venons-en au fait : instaurer la parité dans les
postes de direction sonne peut-être comme une révolution, mais en réalité, il
s'agit d'une réforme politique qui tarde à se mettre en place. Nous, Allemands,
sommes volontiers pionniers en matière d'innovations techniques. En terme
d'innovations sociales, nous sommes tantôt blanc, tantôt noir : votre
prédécesseur, Madame la chancelière, a imposé des réformes sociales et
économiques drastiques, l'Agenda 2010, qui ont permis de relancer la
compétitivité de l'Allemagne en seulement quelques années. Mais la question des
femmes semble insoluble : pourquoi est-ce le cas uniquement dans notre
pays ?
Au cours des douze derniers mois, trois des quatre sièges
qui se sont libérés au sein des conseils d'administration et de surveillance en
Allemagne ont été attribués à des hommes. À l'échelle de l'Union européenne,
les femmes occupent en moyenne un tiers des sièges ; en France, c'est un
siège sur deux ; en Belgique, c'est même deux sièges sur trois. L'économie
allemande est en queue de peloton. L'Allemagne, la patrie des machos. Et qu'en
pense notre dirigeante ?
Madame la chancelière, vos nombreux conseillers
économiques pourront vous le confirmer : les innovations et les réformes
ne s'amorcent que lorsqu'elles sont le fait du chef. Alors pourquoi ne pas
introduire une prime à la casse pour vieux machos ? L'ex-chancelier
Schröder présenterait ses excuses non seulement pour sa déclaration au soir des
élections, mais aussi pour son utilisation du mot "Gedöns" (En 1998, quand Christine
Bergmann fut nommée ministre sous Gerhard
Schröder, ce dernier la déclara responsable pour "la famille et autres
bavardages de bonne femme" ("Familie und das ganze andere Gedöns") signant
l'une des plus belles maladresses de langage de sa carrière, ndlr). On ne prendrait pas au sérieux des managers comme
Gerhard Cromme (chef du conseil de
surveillance de Siemens, ndlr) qui, en argumentant que les conseils de
surveillance ne sont pas le lieu "pour boire le thé entre copines", refusent
aux femmes l'accès aux centres du pouvoir économique. Il faut secouer les
esprits, l'Allemagne doit oser la jupe ! Nous avons besoin d'un "Agenda
50:50" !
Ce texte est
paru originellement dans le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung sous le
titre "Es muss ein Rock durch Deutschland gehen".
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