Par Jelena Prtoric

 

« Dans la forêt, ma mère a fait construire un chalet dans le style de ceux d’Arcachon dont les paysans admiraient les briques vertes, jaunes, rouges et noires… », écrivait François Mauriac dans son œuvre Journal d’un homme de trente ans. Jeune, le Nobel français déambule dans cette forêt du massif forestier landais. Il ausculte les sons du bois et y découvre des colombiers dont on retrouvera plus tard les descriptions dans ses œuvres, notamment dans Thérèse Desqueyroux. Il est particulièrement attaché au parc boisé qui abrite ce chalet, résidence secondaire de sa famille. Il se perd au milieu des arbres, il suit le cours d’un ruisseau, étreint un chêne centenaire.

 

Une résidence d’artistes

 

Aujourd’hui, le chalet est connu sous le nom « Chalet Mauriac ». Au milieu des pins, on aperçoit sa façade faite de briques ocre rouge, de pierres blanches ou de terre cuite, ses balcons peints aussi en rouge et sa toiture crénelée en pente raide. Vu de loin, on dirait un lieu enchanté, une demeure laissée à l’abandon par les esprits littéraires d’antan.

Il y a pourtant de la vie dans ce chalet. Acquis en 2001 par la Région Aquitaine et en grande partie restauré, le Chalet, inauguré en 2013, est devenu une résidence littéraire, un espace dédié aux écritures numériques et contemporaines. La programmation du lieu, soutien à la création contemporaine dans des domaines du livre et de l’édition, du cinéma ou de l’audiovisuel, aussi bien que l’accompagnement des artistes, est confiée à l’ALCA (ancienne Écla, agence livre, cinéma et audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine). Depuis l’ouverture de la résidence, cette programmation s’est peu à peu développée, à tâtons. « La résidence est certainement un accompagnement financier et un hébergement, mais aussi un accompagnement en finesse », explique Aimée Ardouin, chargée de la mission.

Aimée réside avec sa famille juste en face du Chalet. Des cheveux noirs et raides jusqu’aux épaules, un visage lisse et un grand sourire qui fait rayonner son visage, Aimée a un esprit calme et une voix posée. Depuis son bureau, situé au troisième étage du Chalet Mauriac, elle veille à ce que le site fonctionne le mieux possible. Car accueillir un auteur, cela veut dire parfois aller le chercher à Bordeaux ou l’y emmener faire le tour des librairies indépendantes. D’autres fois, c’est passer des coups de fils pour trouver des interlocuteurs quand un écrivain souhaite parler aux gens issus du milieu viticole…

 

Le contraire d’une tour d’ivoire

 

Mais Aimée est surtout là pour faire le lien entre le Chalet et le village. Car la maison n’est pas un lieu isolé dans la forêt : elle se trouve à la sortie de la bourgade de Saint-Symphorien, à 52 kilomètres au sud de Bordeaux. Créer des liens entre les hôtes et leur entourage était un des impératifs pour l’administration de la résidence. « Le plus gros écueil était que le Chalet ne devienne une sorte de tour d’ivoire au milieu d’une clairière, complètement déconnectée du territoire et d’un village », précise Aimée.

 

Un auteur en résidence ne peut pas passer 24 heures sur 24 à écrire ou à être enfermé dans la bibliothèque du Chalet. Il y a donc tout un rapport avec le territoire qui se construit lors de son séjour à Saint-Symphorien : les auteurs font leurs courses au centre le mercredi matin, certains font des cours de tai-chi au club local ou s’aventurent dans les bois… « [Saint-Symphorien] était un village au milieu de rien, au milieu de la forêt, éloigné des métropoles et des centres. Le village a dû s’inventer une existence propre : il y a beaucoup d’associations, des commerces… », complète Aimée.

 

Au début, les habitants n’ont pas été impliqués dans la programmation artistique du Chalet, et les échanges se sont faits au fur et à mesure. Dans la médiathèque, on présente les ouvrages des auteurs en résidence et on organise des soirées littéraires. Les projections de films se déroulent à la mairie. En même temps, tout un groupe de bénévoles s’est formé autour du Chalet. Ils partagent leur amour du village et de la nature avec les auteurs. Jean-Marc, la cinquantaine, lunettes au nez et les cheveux blancs en désordre, est un passionné de nature qui fait régulièrement des sorties en forêt avec eux et se nourrit aussi de leurs projets artistiques. En septembre 2017, quand le Chalet fêtait son cinquième anniversaire, 75 anciens ont répondu présent à l’appel. Comme Jean-Marc, une dizaine d’autres villageois ont ouvert leur maison pour les accueillir.

Et cet engagement des habitants fait aussi vivre le projet littéraire. Historiquement, Saint-Symphorien a toujours été un village ouvert, se construisant avec l’arrivée d’étrangers. Quand les pins ont poussé dans la région, après l’assainissement des marais au milieu du XIXe siècle, le massif forestier landais étant très peu peuplé, il a fallu accueillir des ouvriers venant d’autres régions de France, et même des immigrés.

 

Le lien social se crée au bar

 

C’est au Cercle ouvrier, un bar associatif créé il y a 120 ans, lieu de repos des ouvriers au sortir des usines, que l’on ressent le mieux cet esprit d’accueil. Le Cercle, c’est une grande salle aux murs lambrissés et de grandes tables rustiques. Mais c’est surtout un lieu de rencontre. Il ouvre ses portes chaque soir à 5 heures. On y vient boire un verre, jouer à la belote ou tout simplement discuter. Sous le regard bienveillant de Pierrot, béret sur la tête et moustache fournie, derrière son comptoir, les auteurs, traducteurs, illustrateurs se mêlent aux locaux. « Ce n’est pas grave d’être un étranger, un inconnu au Cercle… Ce qui est grave, c’est de ne pas savoir jouer à la belote ! » plaisante Aimée.

 

Il n’y a plus d’usines à Saint-Symphorien. Le Cercle ouvrier aurait pu mettre la clé sous la porte, comme l’ont fait ailleurs en France la plupart des établissements de ce type. « Je pense que la résidence a apporté du sang neuf au Cercle… Les auteurs viennent au quotidien, donc cela bouscule un peu les habitués », ajoute Aimée. Et de conclure : « En même temps, le Chalet ne serait pas le même sans le Cercle. Ce n’est pas seulement un café mais un lieu de vie. Entre les deux, il y a une relation. Symbiotique ».

Par Redaktion ParisBerlin le 30 juillet 2018