Par Jakub Iwaniuk et Françoise Pons

France-Pologne : entre amitié et désamour


vendredi 19 septembre 2014
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La relation entre la France et la Pologne a été longtemps asymétrique. Depuis l'élection de François Hollande en 2012, les relations entre Paris et Varsovie se sont réchauffées.




Une histoire millénaire lie la France à la Pologne. Une amitié légendaire, dominée par le pathos et jalonnée de malentendus rendant les relations difficiles. Bronislaw Geremek, l'ancien ministre des Affaires étrangères parlait d'une "asymétrie des sentiments" pour évoquer la relation entre les deux pays. La Pologne a toujours recherché la reconnaissance, l'amour de la France et a souvent été déçue dans ses attentes. Quant à la France, elle a vibré pour la Pologne avec ferveur à différents moments de l'histoire, mais elle a toujours perçu ce pays comme éloigné, aux confins de l'Europe, à l'Est. Une perception qui est peut-être en train de changer aujourd'hui. 
L'histoire commence au Moyen-Age par de nombreux échanges ecclésiastiques mais c'est l'élection d'Henri d'Anjou au trône de Pologne en 1573 qui marque le début des relations politiques entre les deux pays, la Pologne devenant une pièce maîtresse pour la France contre la monarchie des Habsbourg. Le règne est de courte durée : Henri d'Anjou fuit la Pologne cinq mois plus tard, pestant contre ce peuple qu'il qualifie de "barbare, arrogant, volage, vanteur, causeur".

Ce sont les femmes qui rapprochent ensuite les deux pays. Deux françaises épousent des rois de Pologne : Marie-Louise de Gonzague de Nevers (1611-1667) qui épousa le roi Ladislas IV et qui exerça une grande influence ; Marie-Casimir d'Arquien qui fit un mariage d'amour avec Jean III Sobieski. Deux polonaises séduisent aussi deux illustres français : Louis XV épouse Maria Leszczynska ; Napoléon eut pour maîtresse Maria Walewska.

Mais c'est au XIXe siècle que les deux peuples apprennent à se connaître avec l'épopée napoléonienne qui a profondément marqué les polonais. Elle a réveillé en eux l'espoir de la reconstruction de leur pays. Alors qu'à la suite de partages entre l'Empire de Russie, le Royaume de Prusse et l'Empire d'Autriche, la Pologne avait depuis 1795 disparu de la carte, Napoléon crée en 1807 le Grand-Duché de Varsovie et jette les bases d'une nation, dont il reste aujourd'hui le Code Napoléon. Le Grand-Duché fut de courte durée, - il dura huit ans-, (il fut repris par le tsar de Russie) et les polonais l'ont payé cher en offrant 92 000 soldats à Napoléon. Ce dernier n'en a pas moins laissé jusqu'en 1945 (jusqu'au découpage de l'Europe à Yalta), un espoir immense en Pologne et une confiance envers l'Occident et particulièrement la France. La Pologne est le seul pays au monde qui en fait la louange sans son hymne national : "Bonaparte nous a montré comment nous devons vaincre... ".

Les rancoeurs se succèdent au XXe siècle

Au XXe siècle, les rancoeurs se succèdent. D'abord la guerre. En septembre 1939, le peuple français, qui est sorti très éprouvé de la Première guerre mondiale, est peu enclin à  "mourir pour Dantzig". Les Polonais, eux, reprochent "la trahison de la France" qui n'a pas porté secours à la Pologne au moment de l'invasion allemande. Néanmoins le combat côte-à-côte dans la guerre apaise l'hostilité réciproque. 
La période communiste devient un marqueur de la complexité des relations franco-polonaises. Le mouvement Solidarnosc qui débute à la fin des années 70 a enfiévré les français, intellectuels, groupes politiques de tous bords, simples citoyens qui s'engagent dans un large réseau de soutien aux polonais. 

Les relations politiques sont plus ambigües. Au moment où s'impose la coexistence pacifique entre les systèmes capitaliste et socialiste, le Président De Gaulle commence une "Ost-Politik" par deux voyages d'Etat à Varsovie (1967) et à Bucarest (1968), "suggérant à ces deux pays qu'ils peuvent être des acteurs indépendants dans le jeu international", a écrit le sociologue Georges Mink. De Gaulle connaissait bien la Pologne pour y avoir été affecté en 1919. Il vouait une grande admiration à cette "nation capable de payer au prix fort sa liberté" et considérait que le retour de l'indépendance n'était qu'une question de temps. Cependant la banalisation des relations de la France avec le pouvoir communiste d'Edouard Gierek, qui fut mineur dans le Nord de la France, que le Président Giscard d'Estaing intensifie, a inspiré la méfiance du peuple polonais. "Pour un français, le communisme est une idée, un petit frisson d'aventure (...). Pour un Polonais, c'est un malheur, un mur qui le sépare de la civilisation occidentale", a souligné le sociologue Georges Mink. 
Ainsi lorsqu'en 1981, le pouvoir communiste de Jaruzelski décrète l'état de guerre en Pologne le 13 décembre 1981 et que François Mitterrand fait dire à son ministre des affaires étrangères Claude Cheysson que "bien entendu nous n'allons rien faire", le fossé d'incompréhension se creuse entre les deux pays. 

1989 une année charnière

1989 est une année charnière dans les relations franco-polonaises. La chute du communisme, la fin de la logique des blocs, ont bouleversé un équilibre européen qui était jusque-là particulièrement favorable à la France. L'Europe c'était la France en plus grand. Son influence était désormais menacée. Comme le souligne le politologue Aleksander Smolar, "pour la France, l'année 1989 a été une véritable catastrophe géopolitique. Mitterrand avait compris qu'avec l'entrée des pays d'Europe Centrale dans le club européen, le centre de gravité de l'Europe allait inévitablement basculer de Paris à Berlin". Alors qu'au tournant des années 80-90, la Pologne et l'Europe centrale sont à peine présentes dans la politique étrangère de la France, l'Allemagne prend dès 1991 l'initiative du  Triangle de Weimar, cette plate-forme de coopération entre la France, l'Allemagne et la Pologne, qui vise à accompagner Varsovie vers l'adhésion à l'OTAN et l'UE. La France fut d'abord opposée à l'élargissement de l'Union européenne à l'Est, car selon Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, "ces pays ne distinguaient pas l'UE de l'OTAN et ils ont une fascination américaine." Néanmoins par pragmatisme, elle a progressivement considéré le processus d'élargissement comme naturel et inévitable.

Cette  réticence initiale a suscité en Pologne le sentiment d'être pour la France un partenaire de seconde zone. Ce sentiment a culminé sous la Présidence de Jacques Chirac lors de la crise irakienne en 2003. L'ancien président polonais Aleksander Kwasniewski s'en est plaint dans un entretien au Monde en 2012 : "La France ne fut jamais un partenaire facile, ne ressentant pas d'obligation morale envers nous, alors que nous évoquions souvent les liens historiques entre la France et la Pologne. D'où une asymétrie dans nos relations". La France, elle, s'est irritée de la double casquette des polonais : leur façon de considérer leur entrée dans l'UE comme un dû (lié à leur malheur dans l'histoire récente), donc de recevoir des contributions financières importantes de la part des Etats membres riches, et dans le même temps préférer l'achat d'avions F16 américains au détriment des Mirages français. 

Un nouveau chapitre en 2004

Mais l'adhésion de la Pologne à l'UE en 2004 a ouvert un nouveau chapitre dans les relations franco-polonaises avec la définition d'un socle d'intérêts communs sur les dossiers européens et internationaux. Polonais et français aspirent aux mêmes objectifs de maintenir une politique agricole commune forte au sein de l'UE et de développer une politique de défense européenne. L'élection de Nicolas Sarkozy a marqué un tournant dans l'approche française vis-à-vis de la Pologne, avec un changement radical de ton. Faisant allusion à ses racines hongroises, le Président français déclarait en 2008 dans la presse polonaise : "Je comprends l'état d'esprit des européens de l'Est. Vous occupez la place qui vous revient de droit en Europe. Vous êtes un grand pays qui doit tirer l'Europe dans la bonne direction avec les grands pays". Mais cette volonté de réhabiliter la Pologne dans le concert des "grandes nations" européennes visait aussi à désamorcer la menace du véto polonais sur le nouveau Traité européen simplifié. La France fera deux gestes importants : elle lèvera les derniers obstacles à la libre circulation des travailleurs polonais vers l'hexagone et signera avec la Pologne un partenariat stratégique. Ce dernier restera cependant peu dynamique et ne sera véritablement relancé qu'avec l'arrivée à l'Elysée de François Hollande.

Depuis lors, les relations franco-polonaises se sont réellement réchauffées. Multipliant les visites officielles à Varsovie et mettant l'accent sur "l'amitié historique" qui lie les deux pays, le Président Hollande a joint au partenariat stratégique un programme de coopération consistant où les aspects militaires jouent un rôle prépondérant. L'objectif affiché est de développer un partenariat franco-polonais sur le modèle du couple franco-allemand en exploitant tout le potentiel du triangle de Weimar. Lors des commémorations du 6 juin en Normandie, le Président polonais Komorowski a donné des assurances fortes de la fidélité de son pays à l'Europe. Lassés de l'asymétrie de leur relation avec les américains, les polonais ont désormais davantage les yeux rivés vers Bruxelles que vers Washington. Au moment où le couple franco-allemand a du plomb dans l'aile, et où les relations germano-polonaises sont au contraire excellentes, le rapprochement entre Paris et Varsovie peut s'avérer vertueux dans la recherche de compromis au sein des institutions européennes. Et présager l'équilibre de l'Europe de demain.
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