Par Sophia Andreotti

 

Mon premier grand voyage en Allemagne fut pour Aix-la-Chapelle, ville jumelée avec Reims, où j’ai grandi. J’étais alors au collège et dans mon sac, j’avais une fiche arborant la photo d’identité d’une jolie blonde aux yeux bleus, ma correspondante allemande Christina. Elle se décrivait végétarienne, aimant “le foot, les animaux et le cinéma”. Je n’en savais pas plus et j’espérais la reconnaître au premier coup d’œil parmi les familles qui nous attendraient.

 

Ce n’est certainement pas ce séjour qui m’a fait aimer l’Allemagne, où je vis aujourd’hui. Mais c’est sans doute une des expériences qui m’ont obligée à sortir de ma zone confort. Je ne comprenais pas un traître mot de ce qu’on me disait, les tartines de pain noir qu’on mangeait au dîner étaient pour moi une horreur et ma correspondante m’adressait à peine la parole. Finalement, je me souviens surtout du circuit sur les traces de Charlemagne organisé par les profs, des fous rire entre copines et de la boum organisée par nos correspondants allemands où on avait le droit de boire de la bière,  bref du grisant sentiment de liberté que je ressentais loin de chez moi et de ma famille.

 

Un maillage sans égal

 

Le concept de jumelage est né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour réconcilier les populations européennes. Les jumelages franco-allemands ont d’ailleurs été encouragés par le traité de l’Élysée signé en 1963. Sur près de 20 000 jumelages qui existent aujourd’hui en Europe, 2.200 sont franco-allemands, conclus entre des communes, départements et régions. Ces partenariats privilégiés sont officialisés par une charte. Les échanges scolaires et séjours linguistiques n’en sont qu’un aspect car les jumelages permettent aussi l’organisation de rencontres sportives, d’échanges artistiques, de rendez-vous entre professionnels ou encore le développement de projets communs dans les domaines de l’éducation, de l’économie ou de la recherche.

 

Mais à l’ère d’internet, des réseaux sociaux, de l’accélération des échanges et de la globalisation triomphante, les jumelages sont-ils encore d’actualité. Intéressent-ils toujours la jeunesse quand avec un  smartphone on ouvre si facilement une porte sur le monde ? On serait tenté de penser qu’ils appartiennent au passé, sauvegardés par quelques retraités passionnés en souvenir du bon vieux temps.

 

Un outil pour faire aimer l’Europe

 

Pourtant selon la fondation Bertelsmann et l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg (DFI),  au moment où l’Europe traverse une grave crise de confiance, les jumelages sont un excellent moyen de rendre l’idée de construction européenne plus concrète et d’y associer les citoyens. Les deux organismes viennent de publier une étude sur le sujet et ce vaste état des lieux doit permettre de fournir des “ bases d’une discussion sur une Europe des citoyens” et des “recommandations sur l’organisation des jumelages” pour exploiter au mieux leur potentiel.

 

1.322 villes et communes françaises et allemandes ayant un jumelage franco-allemand et 17 groupes de discussion ont participé à cette enquête. Et les résultats, publiées en janvier, sont plutôt optimistes : les ¾ des sondés jugent les relations avec la ville jumelée “très bonnes” et les 2/3  indiquent que leur jumelage est stable ou a gagné en intensité. Au-delà des chiffres, l’étude dévoile ce qui fait leur réel succès : leur dimension humaine car l’engagement personnel, les nouvelles rencontres, la découverte d’autres modes de vie ont un réel impact sur les participants.

 

Séduire les jeunes

Face aux tendances du couchsurfing, d’Airbnb ou des voyages low-cost, les jumelages ont encore une plus-value. Leurs activités favorisent les échanges entre des couches de population très diverses, touchent toutes les classes sociales (y compris les plus défavorisées) et permettent une connaissance plus approfondie du pays partenaire. Mais pour exister, ces partenariats locaux nécessitent un engagement citoyen qui est de moins en moins au rendez-vous. Les comités de jumelage peinent à recruter des bénévoles.

 

Le renouvellement des générations se fait attendre : seul un quart des participants aux jumelages ont moins de 30 ans. Le fait est que les jeunes générations ont une autre conception du monde que leurs aïeuls, comme le rappelle Lisa Möller, responsable du Comité franco-allemand pour la jeunesse. Lors de la présentation officielle de l’étude à Berlin, la jeune femme a souligné que “les jeunes d’aujourd’hui sont plus mobiles qu’il y a 20 ou 30 ans. Ils ont des amis partout dans le monde, voyagent facilement. Pour eux, c’est quelque chose qui va de soi. Le souvenir des grands conflits qui ont secoué l’Europe n’est plus un argument suffisant ». S’ils veulent subsister, les jumelages doivent donc impérativement séduire et impliquer davantage les jeunes.

 

Retrouvez les résultats détaillés de l’étude en français et en allemand sur le site de la fondation Bertelsmann : www.bertelsmann-stiftung.de

Par Redaktion ParisBerlin le 29 mai 2018