Par Charles Soula
À un peu plus d’un an de la fin de son mandat, le président de la Commission Jean-Claude Juncker ne désarme pas. En prononçant devant le Parlement européen son dernier discours sur l’état de l’Union, l’ancien Premier ministre luxembourgeois, qui est le dernier représentant en exercice d’une lignée de grands Européens convaincus, a refusé de dresser un premier bilan de ses quatre ans de présidence de l’exécutif communautaire et d’évoquer un testament politique. « Le travail continue pendant les douze mois à venir pour faire de l’Union européenne imparfaite une Union chaque jour plus parfaite », a-t-il expliqué en guise d’introduction à ce qui apparaît comme un programme de travail ambitieux et volontaire.
Même s’il a souhaité mettre en avant les succès plutôt que les échecs de l’Union, Juncker convient que l’heure est grave et que les courants anti-européens soufflent avec plus de force et de conviction dans toute l’Union, à l’Est comme en Italie et plus récemment encore en Suède. Il n’hésite d’ailleurs pas à comparer la période actuelle l’année 1913, au cours de laquelle les Européens s’attendaient à vivre durablement en paix. « Disons oui au patriotisme qui n’est pas dirigé contre les autres. Disons non au nationalisme qui rejette et déteste les autres, qui détruit, qui cherche des coupables au lieu de chercher des solutions qui nous permettent de mieux vivre ensemble », exhorte-t-il les eurodéputés, les dirigeants et les citoyens de l’Union.
Un temps compté
Car le temps presse avant une échéance importante et cruciale pour le devenir de cette Union : les élections européennes de mai 2019. Pour tenter de mettre fin au marasme ambiant, Juncker a rappelé les succès bien réels des politiques européennes : une croissance ininterrompue depuis 21 trimestres, un chômage qui frappe encore 14,8 % des jeunes mais qui se situe à son plus bas niveau depuis l’an 2000, des investissements relancés grâce à un fonds européen qui devrait bientôt générer 400 milliards d’investissements publics et privés et, malgré ses échecs cuisants, une politique migratoire qui a permis de faire chuter le nombre d’arrivées de réfugiés de 97 % en Méditerranée orientale. « Toutefois, reconnaît-il, les États membres n’ont pas toujours trouvé le juste équilibre entre la responsabilité que chaque pays doit assumer sur son territoire et l’indispensable solidarité mutuelle dont ces États doivent faire preuve », évoquant le refus des 27 d’accepter les réinstallations obligatoires des demandeurs d’asile proposées par son institution.
Alors pour tenter de faire oublier ces échecs et pour « planter les arbres à l’ombre desquels nos arrière-petits-enfants pourront grandir et respirer en paix », Juncker propose une série d’initiatives spectaculaires. Il a d’abord confirmé sa proposition de déployer un véritable corps de gardes-frontières fort de 10 000 personnes d’ici 2020 pour mieux sécuriser les frontières extérieures de l’Union et éviter ainsi que certains pays rétablissent des frontières intérieures au détriment de la libre circulation prévue par les traités.
Alléger les procédures
Pour que l’Union devienne un « acteur global » et puisse mieux faire entendre sa voix sur la scène internationale, il souhaite que certaines décisions de politique étrangère puissent se prendre à la majorité qualifiée et non plus à l’unanimité afin d’éviter qu’un seul pays fasse blocage, cette extension du vote à la majorité pouvant ensuite être étendue à certaines matières relevant de la fiscalité. Il propose également de « renforcer le rôle international de l’euro », jugeant « aberrant » de payer les avions européens en dollars ou encore d’utiliser la monnaie américaine pour régler 80 % des importations européennes d’énergie alors que seulement 2 % proviennent des États-Unis.
À la recherche de solutions innovantes pour gérer la crise migratoire qui divise l’Union depuis 2015, il souhaite établir « une nouvelle alliance entre l’Union et le continent africain » afin qu’au-delà des aides traditionnelles au développement l’Europe contribue à accélérer les investissements et donc l’emploi en Afrique d’où sont originaires la grande majorité des migrants qui tentent de traverser la Méditerranée au péril de leur vie. Selon Juncker, il serait ainsi possible de créer jusqu’à 10 millions d’emplois en Afrique au cours des cinq prochaines années, un accord de libre-échange de continent à continent permettant de relancer le commerce entre partenaires égaux.
Pour tenir de tels engagements, le président de la Commission a enfin encouragé les capitales et les institutions européennes à régler rapidement la question du futur budget européen, qui fait actuellement l’objet de vives discussions entre les capitales. Marqué par l’austérité car il doit tenir compte du retrait britannique, ce budget permettra-t-il de tenir les engagements proposés ? Juncker espère une décision avant les prochaines élections européennes pour convaincre les électeurs de la réalité de ces engagements. Mais de nombreuses voix estiment qu’il appartiendra au nouveau Parlement de se prononcer.