Par Olivier Mirguet

 

« Je connais votre obsession ». Interpellé par Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin, Emmanuel Macron n’y est pas allé par quatre chemins. L’ambiance était pourtant à la fête lors de cette garden-party, le 17 avril, où le gratin politique local était venu célébrer la signature d’un contrat qui apportera 185 millions d’euros de financement public pour le « rayonnement européen » de Strasbourg. Apostrophé par cet élu de la collectivité territoriale qui couvre la moitié nord de l’ex-région Alsace, et qui rêve de renforcer ses pouvoirs en fusionnant avec le Haut-Rhin, le président de la République s’est montré intransigeant : pas question de séparer l’Alsace de la région Grand Est, issue en 2016 de la fusion administrative avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne.
Depuis la fusion, des Alsaciens de tous bords ont pleuré leur perte d’identité. Les défenseurs d’une Alsace « indépendante » et mariée avec la Lorraine, réputée industrieuse, et l’ex-région Champagne-Ardenne qu’ils jugent lointaine et ne connaissent pas ont fait des pieds et des mains pour revenir vers la situation administrative précédente. Jusqu’en 2015, leur région chérie organisait sa propre promotion, décidait seule ses politiques d’aménagement du territoire, planifiait ses dessertes ferroviaires locales et la construction de ses lycées. Elle défendait aussi une langue régionale de moins en moins parlée par les jeunes générations.

 

Le retour du régionalisme

 

Au printemps 2017, à la demande du mouvement régionaliste Unser Land, l’institut de sondage CSA a réalisé une étude sur le sentiment d’appartenance des Alsaciens à la région du Grand Est. 84 % des personnes interrogées ont souhaité une renaissance politique et institutionnelle de leur ancien conseil régional. « Nous voulons une Alsace forte, innovante, européenne (…). Cette Alsace ne peut pas être qu’une façade, une Alsace au rabais, ou réduite à sa portion folklorique », ont estimé 130 élus locaux signataires en février 2018 d’un appel public intitulé « Cap vers l’Alsace ». Ils demandent, entre autres, la reprise en mains de la compétence du développement économique, désormais pilotée à l’échelle du Grand Est. Et jugent de facto, mais sans statistiques à l’appui, que l’Alsace a perdu de son attractivité depuis la fusion de son administration régionale avec les régions voisines. Le 30 mai, Frédéric Bierry et son homologue haut-rhinoise Brigitte Klinkert ont proposé au préfet de créer une collectivité à statut particulier. Autonome, sur le modèle de la Corse, mais ouverte à des collaborations renforcées avec les voisins allemands et mieux armée pour assurer son autopromotion. Son nom de code : « Eurocollectivité d’Alsace ».
Jean-Luc Marx, préfet de la région Grand Est, présentera fin juin au Premier ministre un rapport sur l’avenir institutionnel de l’Alsace. Le représentant de l’État devra peser les avantages et les inconvénients de positions contradictoires. Pas question, a-t-on déjà prévenu à Paris, de voir renaître l’ex-conseil régional d’Alsace, disparu fin 2015. La réforme territoriale voulue par l’administration de François Hollande est inscrite dans le marbre de la loi. Dans l’attente de la décision de Matignon, attendue pour l’automne, les tensions continuent de monter. Le mouvement Unser Land représente un patchwork de sympathisants entre l’écologie et l’extrême droite. Il a réalisé son meilleur score en 2015, un an avant la fusion : entre 10 % et 12,6 % lors des dernières élections régionales. Ses militants continuent d’y croire. Selon eux, l’Alsace aurait perdu de sa superbe depuis la réorganisation de ses administrations. Catherine Trautmann, ex-maire socialiste de Strasbourg et ancienne députée européenne, n’est pas de cet avis. « Il faut voir la vraie capacité de croissance que nous apporte la région Grand Est ! On peut choisir de rester à la périphérie de deux pays, entre la France et l’Allemagne. Je choisis de nous placer au centre d’un grand ensemble », propose-t-elle.

 

« L’Alsace n’est pas moins attractive depuis la fusion », confirme Vincent Froehlicher, directeur de l’Adira, l’agence de développement économique régionale. « Le fait d’être dans le Grand Est n’a ni augmenté, ni diminué le nombre d’implantations d’entreprises. Les terrains aménagés pour accueillir des entreprises partent comme des petits pains », observe-t-il. « L’Alsace n’a rien perdu des arguments historiques qui font son attractivité », poursuit Olivier Eck, en charge de la prospection économique à l’Agence d’attractivité d’Alsace. « Quand on explique à un investisseur américain que Strasbourg se situe à deux heures de l’aéroport international de Francfort, tout va bien. Au niveau local, le caractère culturel et linguistique de l’Alsace reste un élément fort pour nos voisins d’Europe germanophone. C’est ce qui a déjà fait notre succès pendant les Trente Glorieuses », estime Olivier Eck.

 

Repenser la Région

 

Le flux d’investissements étrangers s’est pourtant tari. Depuis deux décennies, le développement endogène des entreprises alsaciennes a pris le dessus sur les créations massives d’activités par des industriels allemands, américains ou japonais (INA, General Motors, Sony), dont certains sont repartis. Afin de relancer l’économie dans le secteur de Fessenheim, après la fermeture de la centrale nucléaire prévue mi-2019, les autorités locales rêvent d’attirer de nouveaux investisseurs et des centres de recherche dans les énergies renouvelables. L’enjeu est énorme : plus de 2 000 emplois directs et indirects à reconvertir. Pour soigner son attractivité, la région a songé à créer une zone transfrontalière autour de l’ancienne centrale, en partenariat public-privé, avec un statut fiscal avantageux. Vaste programme sur les deux rives du Rhin ! Des dizaines de comités se sont mis en place depuis la confirmation de la fermeture de la centrale EDF par Emmanuel Macron. « La montagne va accoucher d’une souris », prévoit déjà un observateur de l’économie régionale.

 

La continuité de la promotion touristique peut calmer les militants alarmistes de la disparition de l’Alsace. Avec la fusion, les comités régionaux du tourisme vont mettre en commun leurs budgets de promotion à l’international. Armée de deux régions viticoles, deux massifs de montagnes, trois fleuves, et quatre frontières, le Grand Est a d’ores et déjà renoncé à imposer une ligne unique pour sa promotion. Au salon international du tourisme (ITB) à Berlin, en mars 2018, les élus ont expliqué aux journalistes qu’ils entendaient poursuivre une stratégie multi-destinations. « Nous allons proposer des forfaits incluant les cinq destinations touristiques du Grand Est : l’Alsace, la Champagne, la Lorraine, les massifs des Vosges et de l’Ardenne. Ce sera un défi », a confirmé Philippe Choukroun, directeur général de l’Agence d’attractivité de l’Alsace. Strasbourg, leader incontestée dans le tourisme de loisirs et d’affaires (1,5 million de nuitées à l’été 2017) n’a guère de soucis à se faire. Depuis 2010, tous les segments de sa clientèle touristique ont progressé, y compris les pays lointains (hors Europe), dont la fréquentation a augmenté de 137 % en six ans ! Et l’Alsace, que ses promoteurs assimilent à une marque touristique de renommée mondiale, n’est pas si affectée que les opposants au Grand Est l’ont laissé entendre.

Par Redaktion ParisBerlin le 21 août 2018