Par Jacques Docquiert
Sur les vingt plus grandes entreprises mondiales, neuf sont passées au numérique et sont actuellement soumises à un taux d’imposition effectif deux fois moins élevé que celui appliqué à l’économie traditionnelle dans l’Union, lorsqu’elles n’échappent pas, en partie au moins, à l’impôt. « Nos règles mises en place avant l’existence d’internet ne permettent pas aux Etats d’imposer les entreprises numériques opérant en Europe lorsqu’elles n’y sont présentes physiquement que de manière limitée ou pas du tout. Cela représente pour les Etats membres des pertes fiscales qui ne cessent d’augmenter. C’est pourquoi nous proposons de mettre en place une nouvelle norme juridique et d’instaurer une taxe provisoire applicable aux activités numériques » a expliqué, cette semaine, Pierre Moscovici, le commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, en présentant une série de mesures destinées à mieux taxer les géants du net, comme Google et Facebook.
Ce projet de taxation des multinationales du numérique, défendu notamment par Emmanuel Macron, devait faire l’objet d’un premier examen par les dirigeants de l’Union réunis jeudi et vendredi à Bruxelles. Le dossier est, en effet, urgent mais aussi très sensible. Les principales entreprises visées sont, en effet, américaines, même si P.Moscovici a pris soin de préciser qu’il ne s’agit « ni d’une taxe contre les GAFA, ni d’une taxe anti-américaine » et qu’il l’avait expliqué de « vive voix » au Secrétaire américain au trésor, Steven Mnuchin, afin de ne pas attiser les tensions entre les deux rives de l’Atlantique? Mais ce message a visiblement du mal à passer puisque, la semaine dernière, M.Mnuchin a expliqué que « les Etats-Unis s’opposeraient aux propositions de quelque pays que ce soit ciblant les compagnies numériques ». A l’opposé, Bruno Lemaire a estimé, mercredi, que le projet de Bruxelles « allait dans la bonne direction ». Pour la France, en effet, ainsi que pour les autres pays européens participant au G20 – Allemagne, Italie, Espagne et Royaume-Uni – les choses n’avancent pas assez rapidement au niveau international et il est donc légitime que l’UE prenne l’initiative.
Dans un premier temps, la Commission propose de taxer de 3% les revenus provenant d’activités numériques. Cette taxe serait appliquée aux groupes dont le chiffre d’affaires annuel mondial dépasserait 750 millions d’euros et dont les revenus dans l’Union excéderaient 50 millions d’euros. Au total, 150 à 120 entreprises seraient concernés, la moitié américaines, un bon tiers européennes et le reste asiatiques et surtout chinoises. Selon les experts, cette taxe rapporterait environ 5 milliards d’euros par an. Bruxelles vise ainsi les recettes publicitaires que les groupes tirent des données de leurs utilisateurs, notamment Facebook, Google, Twitter. D’autres entreprises, comme Airbnb ou Uber seraient également visées. A plus long terme, l’exécutif communautaire entend réformer les règles relatives à l’imposition des sociétés effectuant des activités numériques afin de permettre aux Etats de taxer les bénéfices réalisés sur leurs territoires, même si l’entreprise visée n’y est pas présente physiquement. Les « grands » états membres favorables à ces reformes devront cependant convaincre certains plus petits, comme l’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Ba, qui offrent une fiscalité avantageuse pour attirer les entreprises. En effet, en matière fiscale, les décisions ne peuvent être prises qu’à l’unanimité dans l’UE.