Par Rachel Knaebel

 

« Quand nous étions en train de fixer l’enseigne du cinéma, juste avant la réouverture, des gens du quartier sont venus nous dire qu’ils se souvenaient de l’ancien Klick et qu’ils étaient très contents qu’il reprenne son activité ». Le cinéma rouvert en avril dernier dans le cœur du quartier berlinois de Charlottenburg par Claudia Rische, attachée de presse dans le cinéma, et Christos Acrivulis, distributeur, a déjà trouvé son public : des habitués qui vivent dans les environs. Le Klick est en fait une salle historique de Berlin. Elle existait depuis 1911 mais avait cessé de fonctionner au début des années 2000. « Il y avait toujours un café, avec la salle dans le fond, mais il ne servait qu’à de très rares occasions », se souvient Claudia Rische. Qu’à cela ne tienne, le duo a sorti la salle obscure de son sommeil.

 

Un véritable renouveau

 

Et ils ne sont pas seuls dans ce cas. Berlin connaît depuis deux ans une vague de renaissance d’anciennes salles oubliées et de création de nouvelles. « Quand nous avons commencé, en 2014, il n’y avait pas eu d’ouverture de nouveau cinéma indépendant à Berlin depuis 24 ans ! » Kristian Pålshaugen, 35 ans, est l’un des trois gérants du cinéma Il Kino, dans le quartier de Neukölln. « Quand nous sommes tombés sur cet espace, une ancienne boutique vide depuis 20 ans, il n’y avait rien, pas d’électricité, pas de toilettes. Nous avons pensé, allez, ouvrons un cinéma ! » Aujourd’hui, le lieu associe une salle de 52 sièges à un café-restaurant. Le trio à sa tête a investi 200 000 € dans les travaux, paie un loyer modéré au propriétaire du local et a un contrat de location qui court sur 15 ans. « Au début, nous ne savions rien de comment gérer ni un cinéma ni un bar. Nous avons appris au fur et à mesure : trouver des fauteuils, acheter un projecteur, vendre des tickets, obtenir des films à montrer », énumère Carla Molino, cogérante. Aujourd’hui, Il Kino propose trois projections par jour, des rendez-vous réguliers autour de films d’Asie, d’Italie, de Scandinavie, des lectures, des avant-premières, des séances de courts-métrages…

 

Diversifier ses activités

 

Associer cinéma et bar, organiser des événements et des rencontres, garder les films à l’affiche sur une longue durée, c’est le triptyque adopté par tous les nouveaux cinémas indépendants qui ont vu le jour à Berlin ces dernières années. À quelques rues, un autre cinéma a ouvert en mars dans des anciens locaux commerciaux, le Wolf. Ici, c’est un collectif d’investisseurs et une campagne de crowdfunding qui ont financé l’achat du lieu et les travaux. « Nous avons trouvé des investisseurs qui ne souhaitent pas avoir le contrôle sur les choix de programmation, et ne font pas pression pour en faire un cinéma commercial, explique Kris Woods, l’un des employés. Mais le café subventionne en quelque sorte le cinéma. C’est nécessaire », ajoute le jeune homme. À côté des clients et des spectateurs, c’est aussi toute l’équipe du cinéma qui gravite dans le café-restaurant, un enfant dans les bras ou un ordinateur portable sur une des tables.

 

Le Wolf a deux salles, de 40 et 49 places, un espace indépendant d’exposition et de performance, et compte ouvrir dans l’année un espace de postproduction au service des réalisateurs. « Nous voulons travailler directement avec des cinéastes, montrer des films non distribués, précise Kris Woods. Mais nous avons aussi de bonnes relations avec des distributeurs indépendants. Le défi, c’est de faire venir le public pour des films qui n’ont pas de grosse publicité. » Le Wolf montrait par exemple au début de l’été le dernier film du Français Bertrand Bonnello, Nocturama, et le nouveau film de l’Espagnol Albert Serra, La Mort de Louis XIV. Avec toujours, aussi, une programmation jeune public.

 

Adieu le 35 mm

 

À Wedding, Anne Lakeberg et Wiebke Wolter ont redécouvert l’ancien cinéma du centre culturel français, ouvert dans les années cinquante dans ce quartier du nord de la ville. « Nous avions parlé d’ouvrir un cinéma ensemble comme ça, en l’air, autour d’un café. Nous pensions trouver un vieux local où nous mettrions quelques chaises. Et puis, nous sommes tombées sur ce cinéma oublié », racontent les deux jeunes femmes. Elles ont remis en marche, il y a trois ans, la salle de 200 places logée dans un bâtiment inscrit au patrimoine historique. Le cinéma, pourtant en excellent état, ne fonctionnait plus depuis 2007. Aujourd’hui, le City Kino diffuse des films du mardi au dimanche.

 

À Kreuzberg, l’Eiszeit, un cinéma fermé en 2015, a rouvert un an plus tard totalement transformé, avec une nouvelle direction à sa tête. « L’ancien cinéma avait deux petites salles, avec 100 places en tout, sans café. On ne pouvait plus continuer comme ça. Nous avons aujourd’hui trois salles, l’espace a été agrandi et totalement repensé », explique Lysann Windisch, manager. Le nouveau Eiszeit a aussi, comme toutes les autres nouvelles salles indépendantes de Berlin, abandonné la projection analogique. « Un projecteur 35 mm, ça n’est plus rentable et ça prend beaucoup de place », souligne la jeune femme. Un choix pas forcément facile à faire pour les cinéphiles que sont ces exploitants de petites salles.

Par Rédaction ParisBerlin le 7 mars 2018